
« Français de souche », voilà une expression qui mérite mon attention.
Elle fut introduite lors d’une étude par l’I.N.E.D1 en 1996 (d’après Hervé Le Bras, démographe). Ensuite, elle fut popularisée par un « individu », philosophe de formation bien connu des plateaux TV dont je préfère taire le nom (A…F…).
Cette expression désigne les Français vivant depuis plusieurs générations sur le territoire français.
Alors, sans aller plus loin dans le débat, je pourrais m’arrêter là et dire que cette expression est une idiotie du point de vue général et encore plus, scientifique, pour les raisons suivantes :
- Cette expression est un oxymore, car « souche » renvoie au monde de la biologie et « Français » au monde social ;
- La seule « souche » existante est l’espèce homo (regroupant les genres erectus, sapiens, etc.), éventuellement, on peut remonter jusqu’à l’australopithèque ;
- La France, c’est une nation, avec des citoyens français, donc pourvus d’une citoyenneté et ne devant pas se revendiquer d’une « ethnie » française ;
- La France du Moyen-Âge n’est pas la France de la 5e république, ou la France de la Renaissance, etc.
- Comme « souche », renvoie à une base unique, du coup je ne devrais plus me considérer comme Auvergnat « de souche » or whatever ?
Je m’arrête là, parce que je n’ai pas envie de passer pour le bobo de service et aussi que je me suis rendu compte par stupéfaction que tout le monde, quel que soit son milieu ou son histoire, utilise cette expression.
Un contexte ?
Par conséquent, il faudrait aussi
, faire l’effort de chercher à comprendre pourquoi les gens l’utilisent : c’est, selon moi, qu’elle fait sens pour eux ! Il faut noter que cette expression s’est popularisée dans un contexte lors duquel des personnes ont questionné (certains avec honnêteté et d’autres à des fins d’instrumentalisation), le trio banlieue-migration-islam souvent à des fins politiques. Dans ce contexte-là et parce que la France a du mal avec sa propre histoire (l’Histoire est vectrice de changement politique, par exemple la traite négrière aux USA), on voit donc l’expression « français de souche » apparaître comme le résultat d’une lecture de la société française, une distinction entre les personnes blanches de descendance chrétienne présente sur le territoire depuis plusieurs générations, et les autres personnes, nouvelles arrivantes ou enfants de première, deuxième, voire troisième génération d’immigrés.
Une explication ?
On peut constater qu’on retrouve ici le besoin d’« altérité » : ce besoin d’identifier un autre pour se définir soi-même (on se différencie de l’autre, on se distingue pour mieux s’identifier) , élément fondamental de l’anthropologie.
Alors cette expression récente peut à première vue être comprise comme une grille de lecture de la société française. Mais elle cache, à mon sens, une erreur qui entretient un imaginaire et qui masque une réalité. De surcroît, elle entretient l’altérité dans son plus mauvais aspect. Cette expression est dans la même lignée que celle de « race » qui, nous l’avons vu, est une notion désuète (cf. l’article « Ta race ! »).
Il faut cesser de biologiser la société. Il n’y a jamais eu « une » France, des Français univoques. Cette expression vient nous faire croire qu’il y a eu un même type de Français partageant la même culture, conviction, croyance, etc., en gros, le bon vieux français vêtu d’un béret, une baguette tradition à son bras et une bouteille de vin. C’est en cela qu’elle est dangereuse : elle construit un être factice, imaginaire.Mais je me répète : à première vue, je comprends l’usage de cette expression, mais je pense juste qu’elle n’est pas bonne, c’est une économie de langage dangereuse et un élément de langage politique (suffit de placer le niveau d’analyse sur le discours politique). Par ailleurs, des penseurs contemporains ont mis en évidence que face à la globalisation, les identités locales et nationales se sont intensifiées. Comme-ci face à l’accélération des flux, la peur de l’autre, de l’étranger (celui qui est « étrange », « bizarre »), nous nous replions sur nous-mêmes, sur « une identité imaginée ». Nous avons affaire -là, à un objet d’étude complexe qui doit s’analyser de façon holistique et à plusieurs niveaux.
En conclusion
Une expression basée sur un besoin, mêlée à des peurs, des angoisses, utilisée à une des fins politiques et qui est symptomatique de l’époque… Tout un micmac qui doit être relativisé et retravaillé.
On peut parler d’altérité, de différence, mais dans le bon sens, la différence qui enrichit et non celle qui « classe » les êtres, marquée d’une empreinte de théories raciales, du néo-racialisme. Une question sociétale qui traverse le temps et qui, aujourd’hui encore, est présente en fond, lors des débats pseudo-sociétaux médiatiques.
Parlons autrement, pensons précisément, non pas pour se sentir de la bien-pensance, mais plutôt pour être digne de ce que la France a apporté de meilleur : soit son humanisme !
- Institut National d’Études Démographique ↩︎
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