Combien de fois ai-je entendu une personne crier « nique ta race » ou d’autres injures pas très glamour utilisant le mot race. Cette insulte, très présente en France, vient mettre une barrière entre une personne et une autre, entre un groupe et un autre : y’a les noirs, les blacks, les asiates, les gwers, les babtous, … Une notion aussi utilisée dans le domaine politique, souvenons-nous Nadine Morano « un pays de race blanche », dans le monde militant (SOS racisme), dans le langage courant, dans quasi toutes les sphères sociales.
Bien que la science, la mondialisation et la modernité ont radicalement changé nos modes de vie et notre rapport au monde, l’idée des races humaines est encore bien présente dans nos langages. Pourtant, testez et demandez aux gens de votre entourage et à vous-même ce qu’est la race ; je peux vous garantir que très peu arriveront à la définir clairement.
Seules la morale et la loi nous disent que les êtres humains sont égaux, qu’aucun n’est supérieur à un autre. Remarquez, le mot race n’est jamais exprimé sur la place publique, car il créerait une polémique, mais dans les sphères privées il est utilisé. Pour la majorité de la population, ce terme reste flou, à une époque où la diversité culturelle est importante, on se questionne intimement : mais pourquoi ont-ils cette couleur de peau ? Pourquoi ont-ils les yeux bridés ? etc. Je ne pense pas qu’il y ait de honte à se poser ce type de questions, ce qui ait problématique, c’est de ne pas avoir de réponse claire et unanime ; pire de donner une réponse erronée ou fantasmée. On utilise bien la notion de race chez les animaux alors peut-on se demander légitimement s’il existe des races humaines ?Replongeons-nous dans l’époque des grandes découvertes, la mobilité permettait d’aller explorer un monde inconnu. Les sciences sont en plein développement, les personnes se questionnent sur ces découvertes. L’anthropologie physique et l’anatomie tentent de comprendre pourquoi les êtres humains présentent des distinctions physiques (couleur de peau, de cheveux, texture, etc.) Pour cela, elle classe ! C’est à Carl Linné (naturaliste du 18e siècle) que nous devons la classification du monde vivant d’après son ouvrage SystemaNaturae de 1735. Il distingue le règne animal dont fait partie l’homme, du règne végétal. Cette démarche, innovante à l’époque où une tentative de comprendre le monde qui nous entoure et dont nous faisons partie. Il faut bien garder en mémoire le contexte de l’époque (pas d’internet, pas d’école publique, peu de contact, une faible mobilité, etc.) Au-delà, du contenu de l’ouvrage c’est la méthodologie qu’il faut souligner, Linné classifie afin de comprendre. Ce principe de classification marque la science occidentale et est fondamental dans la pensée humaine ; comme Claude Levi Strauss le dit, pour penser il faut classer : le cerveau fonctionne ainsi. Il y a le chaud/le froid ; le bien/le mal ; le liquide/le solide/ le gazeux ; etc. Cela ne veut pas dire que chaque catégorie est étanche, elles peuvent s’interpénétrer. Ainsi, face à la diversité des êtres humains, les scientifiques de l’époque tentent de classer en mobilisant le terme de race comme si c’était des végétaux. Ces classifications reposaient sur des critères construits, comme pour les plantes, les animaux, les roches, etc. Le hic pour l’être humain, c’est que la classification était basée sur des critères trop arbitraires à l’instar des plantes ou des insectes. La race était une tentative à prétention scientifique qui a échoué au 18esiècle. Face à ce premier constat de classifications trop aléatoires, il y a plus tard, la construction de spécimens appelés types. Des types qui étaient construits les uns par rapport aux autres : par exemple le type africain regroupait tous les hommes ayant une teinte de peau proche du noir. On l’entend parfois (surtout dans la police), le type méditerranéen ou maghrébin, le type asiatique, etc. Mais cette construction était encore trop hasardeuse et laissait un champ libre aux stéréotypes et participait à la construction d’un imaginaire social.

Ce qui va venir totalement annuler le principe de race est lié aux acquis de la taxinomie et de la génétique des populations. Grâce à l’avancée des sciences et des techniques, il est possible de regarder « à l’intérieur de l’être » alors qu’avant il n’était possible que d’avoir une vision de l’enveloppe extérieure. La génétique nous dit que faire d’une race ce qui est génétiquement différent revient à faire une race en soi. Il faut comprendre que chaque être humain possède un pourcentage de gènes différents de ses pairs (c’est la singularité de chaque être humain). Personne n’a les mêmes gènes identiques à 100%, il y a toujours une toute petite différence qui est exprimée par son phénotype. Donc dans cette logique, il y aurait autant de races que d’êtres humains. Pour qu’on puisse établir une race, il faudrait une homogénéité génétique : ce qui n’existe pas donc est impossible. Les spécialistes de la génétique des populations (R. Lewontin) concluent que la subdivision en race ne permet d’avoir qu’une minime part de la diversité propre à la génétique humaine. La distance génétique d’une population française par rapport à une population prise au hasard dans le monde est inférieure à 15 % en moyenne. L’anthropologie biologique est unanime, le concept de race ne peut pas être applicable à l’être humain. Aussi, l’idée d’un tronc commun avec des rameaux, c’est-à-dire un être humain de base qui au fil des siècles se subdivise lui-même en races est totalement fausse, car il nie les brassages intenses et les métissages qui existent bel est bien. Préférez, une image en réseau de l’humanité (les uns connectés aux autres).Les sociétés à travers le monde s’adaptent avant tout culturellement à leur environnement, c’est-à-dire au travers de leurs pratiques (la façon de s’habiller, de manger, de se procurer à manger, d’habiter …). Il peut y avoir une influence du milieu environnemental sur l’homme, plus particulièrement sur ses gènes ; ce champ-là est celui de l’anthropobiologie qui étudie la diversité humaine (sans classifier) au travers de la génétique des populations.
Nous oublions trop souvent que les mots ont une histoire, qu’ils changent au fil des époques. Et qu’ils peuvent totalement changer de registre. Aujourd’hui bien qu’utilisé le mot race au sens biologique est désuet, il n’a aucune validité scientifique. Cependant, il est utilisé dans certains pays notamment anglo-saxons pour désigner des communautés culturelles, mais en aucun cas biologiques. Surtout que la culture ne correspond en rien avec un phénotype (l’expression des gènes) ou inversement. Par exemple, pour reprendre vulgairement le langage policier, un homme de type méditerranéen (sous-entendu un homme à la teinte foncée et cheveux noirs), n’est pas forcément maghrébin et musulman. Il peut très bien être suédois et protestant ou autre.

Les sociétés d’hier et d’aujourd’hui ont ce réflexe face à la différenciation culturelle (surtout quand elle est conflictuelle), d’avoir cet élan verbal qui décrit un autre différent de nous, un autre sauvage, amalgamant la culture et la biologie face à l’ignorance et à la difficile reconnaissance de l’altérité.
Pour ceux qui douteraient encore, notre espèce est reconnue comme Homo sapiens, faisant partie de la grande famille des Hominidés qui comprend effectivement les grands singes, mais en aucun cas, l’homme ne descend pas du singe ! Comprenez, il n’y a pas de races humaines, mais une seule espèce humaine.
MAJ : Le 12 juillet 2018, un amendement a été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en faveur de la suppression du mot race dans la constitution. Celui-ci prendra effet quand la révision de la constitution sera aboutie.
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